vendredi 13 mai 2011

«Le Jeu» de Saint-Denys Garneau

Peut-être la perte n'est-elle pas irréparable, mais la désastreuse panne de Blogger hier et aujourd'hui m'a fait perdre la photo que j'avais prise à Québec des vers d'Hector de Saint-Denys Garneau (photo ci-dessous).
Je les avais photographiés sur l'un des sièges de l'œuvre de Michel Goulet (dont, je le répète, je vous ai parlé ici).


Ces vers étaient ceux-ci :

Ne me dérangez pas
je suis profondément occupé

Un enfant est en train de bâtir un village

C'est une ville, un comté

Et qui sait

Tantôt l'univers.


Il joue


Cette panne m'a également fait perdre le billet daté du 12 mai qui contenait ces vers, et le poème tout entier.
Je vous présente à nouveau le poème (tiré de « Regards et jeux dans l'espace »), et presque tous les éléments du billet originel, mais avec une nouvelle photo d'introduction qui représente la Terre comme cachée sous une chaise, semblant jouer avec l'enfant dont il est question dans le poème.
Je prendrai une nouvelle photographie pour remplacer celle que j'ai perdue, lors d'un prochain passage à Québec et je l'annexerai à ce billet.

Le jeu

Ne me dérangez pas je suis profondément occupé
Un enfant est en train de bâtir un village
C'est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l'univers.
Il joue
Ces cubes de bois sont des maisons qu'il déplace
et des châteaux
Cette planche fait signe d'un toit qui penche
ça n'est pas mal à voir
Ce n'est pas peu de savoir où va tourner la route
de cartes
Ce pourrait changer complètement
le cours de la rivière
À cause du pont qui fait un si beau mirage
dans l'eau du tapis
C'est facile d'avoir un grand arbre
Et de mettre au-dessous une montagne pour
qu'il soit en haut.
Joie de jouer! paradis des libertés!
Et surtout n'allez pas mettre un pied
dans la chambre
On ne sait jamais ce qui peut être dans ce coin
Et si vous n'allez pas écraser la plus chère
des fleurs invisibles
Voilà ma boîte à jouets
Pleine de mots pour faire de merveilleux
enlacements
Les allier séparer marier
Déroulements tantôt de danse
Et tout à l'heure le clair éclat du rire
Qu'on croyait perdu
Une tendre chiquenaude
Et l'étoile
Qui se balançait sans prendre garde
Au bout d'un fil trop ténu de lumière
Tombe dans l'eau et fait des ronds.
De l'amour de la tendresse qui donc oserait en douter
Mais pas deux sous de respect pour l'ordre établi
Et la politesse et cette chère discipline
Une légèreté et des manières à scandaliser les
grandes personnes
Il vous arrange les mots comme si c'étaient de
simples chansons
Et dans ses yeux on peut lire son espiègle plaisir
À voir que sous les mots il déplace toutes choses
Et qu'il en agit avec les montagnes
Comme s'il les possédait en propre.
Il met la chambre à l'envers et vraiment l'on
ne s'y reconnaît plus
Comme si c'était un plaisir de berner les gens.
Et pourtant dans son œil gauche quand le droit rit
Une gravité de l'autre monde s'attache à la feuille
d'un arbre
Comme si cela pouvait avoir une grande importance
Avait autant de poids dans sa balance
Que la guerre d'Éthiopie
Dans celle de l'Angleterre.

2 commentaires:

orfeenix a dit…

Magnifique description d' un jeu de hasard auquel chacun participe en étant sûr de perdre!

Jack a dit…

C'est le jeu de la poésie.
Le monde qu'il crée n'est pas de ce monde.

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