samedi 23 avril 2011

Devant les aubépines comme devant [d]es chefs-d'œuvre

Ce 4 floréal c'est le jour de l'aubépine selon le calendrier révolutionnaire français.
J'en profite pour vous présenter quelques lignes de «Combray» première partie du premier tome d'«À la recherche du temps perdu» ( ce premier tome c'est «Du côté de chez Swann») où le narrateur parle de ces fleurs mythiques et mystérieuses:

[...] j'avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu'elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m'unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m'offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu'on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret. Je me détournais d'elles un moment, pour les aborder ensuite avec des forces plus fraîches. Je poursuivais jusque sur le talus qui, derrière la haie, montait en pente raide vers les champs, quelque coquelicot perdu, quelques bluets restés paresseusement en arrière, qui le décoraient çà et là de leurs fleurs comme la bordure d'une tapisserie où apparaît clairsemé le motif agreste qui triomphera sur le panneau; rares encore, espacés comme les maisons isolées qui annoncent déjà l'approche d'un village, ils m'annonçaient l'immense étendue où déferlent les blés, où moutonnent les nuages, et la vue d'un seul coquelicot hissant au bout de son cordage et faisant cingler au vent sa flamme rouge au-dessus de sa bouée graisseuse et noire, me faisait battre le cœur, comme au voyageur qui aperçoit sur une terre basse une première barque échouée que répare un calfat et s'écrie, avant de l'avoir encore vue : « La Mer ! » Puis je revenais devant les aubépines comme devant ces chefs-d'œuvre dont on croit qu'on saura mieux les voir quand on a cessé un moment de les regarder, mais j'avais beau me faire un écran de mes mains pour n'avoir qu'elles sous les yeux, le sentiment qu'elles éveillaient en moi restait obscur et vague, cherchant en vain à se dégager, à venir adhérer à leurs fleurs.

2 commentaires:

orfeenix a dit…

quelle magnifique page! Voici une ode de Ronsard en remerciment:

ODE


Bel aubepin verdissant,
Fleurissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vestu jusqu'au bas
Des longs bras
D'une lambrunche sauvage.


Deux camps drillantz de fourmis
Se sont mis
En garnison soubz ta souche:
Et dans ton tronc mi-mangé
Arangé
Les avettes ont leur couche.


Le gentil rossignolet
Nouvelet,
Avecque sa bien aymée,
Pour ses amours aleger
Vient loger
Tous les ans en ta ramée :


Dans laquelle il fait son ny
Bien garny
De laine et de fine soye,
Où ses petitz s'eclorront,
Qui seront
De mes mains la douce proye.


Or' vy gentil aubepin,
Vy sans fin,
Vy sans que jamais tonnerre,
Ou la congnée, ou les vens,
Ou les tems
Te puissent ruer par terre.

Jack a dit…

Merci. Ce vœu d'éternité («Vy sans fin») a été réalisé par «La Recherche».
Le bel aubépin vivra sans fin.

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