lundi 12 juillet 2010

Ah! les choses qui demeurent rigides de façon fiable...

Le livre est emprunté à la Bibliothèque d'Arvida
comme vous le voyez.

Un passage de ce roman, « Infrarouge » de Nancy Huston que ma femme m'a fait lire (le passage car le livre je dois attendre pour le lire) où le personnage principal, Rena Greenblatt, décrit sa perception du fonctionnement de l'appendice sexuel masculin (qu'en termes galants... mais c'est moi qui utilise cette expression pas l'héroïne du roman) :


Ce n'est pas de leur faute s'ils bandent, les pauvres ! Depuis le Cro-Magnon, leur quéquette est programmée pour se lever chaque fois qu'ils posent les yeux sur une femme shtuppable* ; ils ont les gonades branchées en direct sur leur rétine. Ils s'en passeraient bien, à vrai dire, car ça les fait souffrir ! C'est Alioune qui m'a appris ça, lors d'un concert de Fela Kuti à Dijon en 1993. Au moment où les sublimes épouses du chanteur ont commencé à danser dos au public (pour ne pas faire de jalouses, Fela les avait épousées toutes, de sorte que pas moins de vingt-sept jeunes filles canon portaient le nom de Mme Kuti ; plus tard d'ailleurs, pour punir le chanteur de ses virulentes critiques politiques, le gouvement nigérian allait faire violer toutes ses épouses et défenestrer sa vieille maman, mais tout cela n'avait pas encore eu lieu lors du concert de Dijon), "Ça fait mal", a gémi Alioune tout près de mon oreille, et je ne l'ai jamais oublié. De face, les danseuses semblaient quasi immobiles, ondulant à peine des hanches et des épaules, mais de dos c'est de façon ahurissante que se démenait leur arrière-train couvert de franges à perles, gigotant haut~bas haut-bas au rythme de l'Afrobeat endiablé. Oui, je le comprends maintenant : ça leur fait mal, aux hommes, pourtant maîtres du monde, de ne pouvoir maîtriser une partie si cruciale de leur anatomie ; ça les énerve qu'elle puisse se mettre au garde-à-vous alors qu'ils ne lui ont rien demandé, ou refuser d'esquisser le moindre mouvement quand ils en ont le plus urgemment besoin. D'où leur tendance à se cramponner aux choses qui demeurent rigides de façon fiable : fusils-mitrailleurs, médailles, attachés-cases, honneurs, doctrines. Ils n'aiment pas sentir leur chair télécommandée par la chair féminine, ça leur fait peur, leur peur les met en colère, et les effets de cette colère sont partout palpables. Incapables de contrôler leur propre corps, ils contrôlent celui des femmes en le déclarant tabou ...

La relation établie entre « phallus » et « choses qui demeurent rigides de façon fiable: fusils-mitrailleurs, médailles, attachés-cases, honneurs, doctrines » me semble d'une extrême justesse. Et très éclairante.
Je ne pense pas que « bander » fasse autant souffrir que le personnage le dit. Peut-être dans certaines circonstances de manque.
Mais c'est uniquement mon expérience.

*
shtuppable : terme d'origine juive s'appliquant à une personne accordant beaucoup d'importance au coït et aux plaisirs de la chair.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis fou de Nancy Huston!
Et la p.104!:
Mais c’est quoi ce truc qui fait que le regard de l’homme c’est la queue de l’homme et que la femme habillée c’est la femme nue et que, du coup, un homme qui mate une femme, même de loin, même couverte des pieds à la tête, c’est comme s’il la violait? C’est quoi ce truc qui fait que les femmes baissent le regard, abdiquent le regard, détournent le regard, font croire qu’elles n’en ont pas, de regard, pour que l’homme puisse se croire le seul à regarder, à voir, à prendre et à comprendre? Vous avez peur qu’on voie quoi, au juste?
et la p.151:
Oui: si les hommes depuis la nuit des temps ont tripoté dessiné trituré sculpté filmé peint photographié le corps de la femme sous toutes les coutures, l’ont scruté imaginé projeté fantasmé voilé dévoilé caché révélé travaillé décoré et banni, c’est que tout tourne autour de ça de ça de ça: de ce vortex d’où sortent tant les garçons que les filles, cette ouverture qui figure, non la castration comme l’a prétendu Freud, quelle idée, mais le néant d’avant et d’après l’être.
!!!
Comment enfin ne pas conseiller la lecture de "L'espèce fabulatrice"?!
cordialement
Yves Renaud Ile de France

Jack a dit…

Un compte rendu de «L'Espèce fabulatrice» (publié chez Actes Sud)ici:

http://culturofil.net/2008/06/07/lespece-fabulatrice-de-nancy-huston/

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