vendredi 8 mai 2009

Est-ce ainsi que les hommes jouent?

Pour écrire cela Oscar Wilde se place à un point de vue qui est celui de la critique. Détaché.
Évidemment, à tous les siècles, la distribution de la pièce sans fin de l'histoire du monde est mauvaise.
La situation est pire encore si l'on se place au point de vue des acteurs, notre point de vue à vous et à moi.
Si vous êtes comme moi vous avez la tentation de citer Aragon dans le poème «
Bierstube Magie allemande» et de dire:

Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Ce poème que Léo Ferré a transformé en chanson en le raccourcissant considérablement (Ferré était un révolutionnaire, n'est-ce pas?) et qu'il a ré-intitulé (vous le reconnaîtrez peut-être ainsi) «Est-ce ainsi que les hommes vivent?»
Je l'ai entendue souvent au cours de ma vie, cette chanson, interprétée par Monique Morelli (le plus souvent, photo à gauche), par Catherine Sauvage et par Léo Ferré lui-même.
Je ne l'avais jamais entendue par Bernard Lavilliers (que j'ai trouvé sur YouTube).
Cette chanson résume tellement bien, me semble-t-il, le point de vue qui est le nôtre en tant qu'acteurs de la vie (dites-moi si j'ai raison) et la surprise que pour ma part j'éprouve chaque jour devant les actions que les hommes et moi-même posons que je vais vous la faire entendre et vous en présenter les paroles ainsi que celles du poème d'Aragon que je vais vous présenter
in extenso.

Voici l'interprétation de
Bernard Lavilliers suivie par les paroles:



Est-ce ainsi que les hommes vivent?

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.

Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.

Est-ce ainsi que les hommes vivent

Et leurs baisers au loin les suivent

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent


Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.

Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus.




Et voici le poème de Louis Aragon, dans Le Roman inachevé:

Bierstube Magie allemande

Bierstube Magie allemande
Et douces comme un lait d'amandes
Mina Linda lèvres gourmandes
qui tant souhaitent d'être crues
A fredonner tout bas s'obstinent
L'air Ach du lieber Augustin
Qu'un passant siffle dans la rue

Sofienstrasse Ma mémoire
Retrouve la chambre et l'armoire
L'eau qui chante dans la bouilloire
Les phrases des coussins brodés
L'abat-jour de fausse opaline
Le Toteninsel de Boecklin
Et le peignoir de mousseline
qui s'ouvre en donnant des idées

Au plaisir prise et toujours prête
O Gaense-Liesel des défaites
Tout à coup tu tournais la tête
Et tu m'offrais comme cela
La tentation de ta nuque
Demoiselle de Sarrebrück
Qui descendais faire le truc
Pour un morceau de chocolat

Et moi pour la juger que suis-je
Pauvres bonheurs pauvres vertiges
Il s'est tant perdu de prodiges
Que je ne m'y reconnais plus
Rencontres Partances hâtives
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus

Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays

Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
je m'endormais comme le bruit

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenait mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola

Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke

3 commentaires:

VANGAUGUIN a dit…

Joue/ Contre-joue?

Je n'aime pas la citation de Wilde. Et même, mon avis important peu, je dirai qu'elle est fausse et prétentieuse. "Évidemment, à tous les siècles, la distribution de la pièce sans fin de l'histoire du monde est mauvaise"...? Quelle pièce? Quel Univers? Quel monde? Quelle distribution? Qui "distribue"? "Mauvais" selon quels critères? Il serait fort intéressant de creuser tous les pré-supposés de ces affirmations... Qui joue? Qui juge? Quel destin! Quelle fatalité! Bien sûr, Wilde est (sous-entendu) un bon "acteur", à la cheville duquel, le reste de l'humanité simiesque n'arriverait jamais à se hisser... Je pouffe...

Rien n'est écrit, on n'est pas dans un soap-opéradisiaque, chacun peut inventer son(ses) rôle(s), et le résultat est et sera un monde toujours mitigé, jamais infernal, jamais paradisiaque (où Wilde ne serait pas indispensable)...

En créant soi-même son rôle, on a plus de chance de le comprendre...:-)

Jack a dit…

Ce qui a été n'est jamais sans effet sur ce qui est: c'est cela qui distribue les rôles.
J'habite, comme vous le savez, le «Nouveau Monde», celui où l'on croyait pouvoir tout recommencer. Vous savez ce qui s'est passé.
«Yes we can»? Oui peut-être à très long terme.
Mais la pièce de l'histoire évolue très lentement et chacun improvise son rôle sans trop en connaître les tenants et les aboutissants, avec trop de pré-supposés, trop de préjugés.
Mais qui a l'esprit libre?

Jack a dit…

Quant à Wilde c'est son fonds de commerce d'être méprisant: cela répond au mépris que la structure de son désir (qu'il n'a pas été libre de choisir, pas plus que nous le sommes vous et moi) lui attirait (et lui attirerait encore malgré les lois) dans la société où il vivait.
Qui distribue la structure du désir?
Qui impose ce rôle? Qui peut s'en affranchir?

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