mardi 13 mai 2008

La Belle et la Bête


La publicité ci-dessus est en mauvais état. Je l'ai utilisée très longtemps.
En outre, elle est, comme on dit au Québec, « poche », c'est-à-dire mal pensée, ratée, à la limite stupide.
Elle n'a sans doute pas fait vendre beaucoup du premier parfum de Jean-Charles de Castelbajac.
Ce n'est pas pour le parfum que je l'ai utilisée.
Ni pour la jeune fille qui y apparaît, qui aurait mérité que je m'intéresse à elle. Mais elle n'a rien hélas qui puisse exciter la théorie littéraire: la poésie, le roman peut-être mais pas la théorie.
Ce qui met en branle, si je puis dire, la théorie, c'est sa robe.
Cette robe est peut-être de Jean-Charles de Castelbajac et elle est spectaculaire.
Telle qu'elle est, elle illustre une variété de mise en abyme (j'en ai déjà parlé et j'en parlerai encore): la représentation en miniature, à l'intérieur d'un texte (ou œuvre comme ici, car une robe créée par un couturier est une œuvre d'art) de l'ensemble du texte (ou de l'œuvre) ou d'une autre partie du texte (ou de l'œuvre).

Ou, comme ici, la représentation en miniature dans un texte (ou œuvre) d'un autre texte ou d'une autre œuvre.
Ce type de mise en abyme se nomme habituellement « intertexte » (je dois dire que cette annexion de l'intertexte à la mise en abyme est absolument personnelle et vise à une simplification -féconde à mon avis- de la poétique.
Cette publicité a été utilisée à l'intérieur d'un cours de « Poétique » pour illustrer la représentation, par la robe, du conte «La Belle et la Bête». Ce conte, écrit à l'origine par Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, a été repris et popularisé par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont.
Cette manche, constituée par une sorte de dragon dévorant le bras de la Belle, avec sa bave de feu dégoulinant sur le devant de sa robe, me semblait une excellente illustration d'un intertexte.
D'autant plus que la bête renvoie, de manière très réaliste, à un autre intertexte, celui d'un désir sexuel violent.
Pas tout à fait comme dans le conte où la bête a besoin d'amour (non de sexe) pour être libérée de son sortilège.
Mais qui a besoin d'amour dans une publicité?
Et, comme une mise en abyme, un intertexte n'a pas besoin d'une représentation parfaite de ce qu'il/elle reproduit: la présence de quelques éléments du texte ou de l'œuvre d'origine suffit. Je vais illustrer cela bientôt avec un poème intitulé « Salut » (ci-dessous) de Stéphane Mallarmé.

Salut

Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l'envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l'avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d'hivers ;

Une ivresse belle m'engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n'importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Ces quatorze vers ne contiennent-ils pas l'« Odyssée » d'Homère ? Ou, métaphoriquement, la mission confiée par Jésus-Christ à ses apôtres lors de l'Ascension ? Ou, l'aventure que croyaient vivre les conquistadors en mettant à feu et à sang le continent qu'ils appelaient « Amérique » ?

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